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Adélaïde de Clermont-Tonnerre Je voulais vivre

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11.11.2025
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Adélaïde de Clermont-Tonnerre   
 Je voulais vivre

Grasset, Paris, 11/11/20252025 , 480 p.

Tout au long de ce copieux roman, l’auteure nous dévoile la vie de Milady, tant les pans que l’on connaît déjà chez Dumas vus à travers un prisme différent, que ceux que l’on ignore, sur son enfance par exemple. Si elle imagine de nombreux nouveaux personnages et situations, elle insère complètement son récit dans celui du roman d’origine, tout en se permettant quelques petites divergences.

Le texte est structuré en de multiples chapitres, parfois très courts. C’est le plus souvent Milady elle-même qui se raconte, mais pas seulement. D’autres personnages s’expriment, comme Rochefort par exemple. Surtout, bousculant la chronologie, d’Artagnan se livre abondamment. Durant le siège de Maastricht où il va perdre la vie, le mousquetaire âgé se confesse en quelque sorte à son aide de camp, un jeune homme en qui il a toute confiance. Au fil de multiples interventions, il exprime les remords que lui inspirent ses actes passés envers la jeune femme.

Adélaïde de Clermont-Tonnerre nous livre un compte-rendu approfondi de la vie de Milady. Sans trop en dévoiler les détails, relevons que la pauvre n’a pas eu beaucoup de chance… A l’âge de six ans, la petite fille a échappé au meurtre de sa famille par un parent convoitant ses biens. Recueillie par un prêtre au grand cœur, elle a cependant été élevée entourée de beaucoup d’amour, y compris dans le couvent où son tuteur l’a placée pour son éducation. Jusqu’à ce qu’une nouvelle mère supérieure la prenne en grippe et transforme sa vie en enfer.

C’est là que les choses commencent à déraper sérieusement pour la jeune Anne. Si elle s’enfuit avec le prêtre desservant le couvent, ce n’est pas parce qu’elle l’a corrompu: c’est lui, bien au contraire, qui l’a dévoyée et qui a volé les vases sacrés. Quand, un peu plus tard, Anne, aux côtés de son prétendu frère, fait la connaissance d’Olivier de La Fère, le futur Athos, elle en tombe sincèrement amoureuse, et vice-versa. Elle fait tout pour entrer dans le rôle de l’épouse idéale dont rêve Olivier mais le ver est dans le fruit puisque « tout ce qu’elle essaie de bâtir repose sur un mensonge ». Ce qu’elle lui raconte sur son passé est soigneusement arrangé pour dissimuler les aspects les plus compromettants mais elle ne voit pas d’autre manière de ne plus être « le jouet de la cruauté du monde ». Ce que son désormais mari ne cherchera pas à comprendre quand il découvrira la marque infamante sur son épaule.

Installée quelques mois plus tard en Angleterre, Milady y vit son deuxième amour authentique, bien qu’un peu particulier, avec James de Winter. Homosexuel à une époque où il s’agissait d’un crime sévèrement puni, ce grand seigneur anglais noue avec la jeune femme une relation profondément affectueuse. Ils font un mariage de convenance qui leur apporte à tous les deux l’apparence de respectabilité dont ils ont besoin. Car Anne est enceinte d’Olivier de La Fère… Avec ce mariage, elle échappe à l’infamie d’avoir un enfant sans père, tandis que James se donne les apparences du bon père de famille que l’on attend de lui. D’autant qu’il se prend de passion pour l’enfant, le petit Mordaunt, qu'il aime comme si c’était son fils. Et ce n’est donc pas Milady, bien sûr, qui empoisonne son deuxième mari, comme chez Dumas, mais bien Percy de Winter, la frère de James, qui convoite les biens de la famille.

A force d’épreuves, Anne finit par se laisser envahir par le besoin de se venger. Et en premier lieu de son oncle Mainvile, à l’origine de tous ses malheurs en ayant assassiné sa mère et en ayant dépouillé sa famille. Pour prix de son entrée à son service, c’est son aide contre Mainvile que Milady obtient de Richelieu. L’ayant fait arrêter, elle finit par l’empoisonner, et découvre alors que cela ne suffit pas à la satisfaire. « La vengeance est une corrosion de toute votre personne. Elle vous change à jamais, confie-t-elle. Après avoir puni mon pire ennemi, j’en ai voulu plus. Buckingham, le bourreau, le comte de La Fère, il fallait qu’ils paient tous, jusqu’au dernier ».

C’est cette spirale de vengeance qui poussera Milady à commettre son crime le pire: l’assassinat de Constance Bonacieux. Le seul, en fait, qu’elle ne se pardonne pas (le seul, aussi, pour lequel Adélaïde de Clermont-Tonnerre n’a pas réussi à imaginer de circonstances atténuantes…). « Je regrette ce que j’ai fait, lance-t-elle à d’Artagnan. J’aurais dû me voir en elle. Comprendre que, comme moi, elle était contrainte de jouer à un jeu dont nous, les femmes, n’avons pas écrit les règles et dans lequel vous, les hommes, vous nous sacrifiez sans la moindre arrière-pensée ».

Cette citation résume bien l’esprit du roman. Les femmes, en ce XVIIe siècle, comptent pour bien peu de choses. Dès son enfance, Anne a été victime de la violence des hommes, et c’est pour survivre qu’elle a dû s’adapter. Dévoyée par le prêtre du couvent, elle a « perdu ce qui fait, aux yeux des hommes, sa seule valeur: la pureté », ce qui l’oblige à mentir à Olivier de La Fère (voir extrait ci-dessous). Un personnage important imaginé par Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Hélène de La Fère, tante du futur Athos, livre son analyse sur le fonctionnement de sa famille. Restée célibataire, elle prend le parti d’Anne qu’elle sauve après sa pendaison par son mari. Mon neveu (Athos) « ne s’était pas débarrassé de la malédiction des comtes de La Fère, déplore-t-elle amèrement. Il était comme son père, comme tous les autres qui pensent avoir droit de vie ou de mort sur ceux qui les servent et sur celles qu’ils épousent ».

Ce portrait d’une femme blessée, harcelée, qui ne se résigne pas à n’être toute sa vie qu’une victime est des plus convaincants. Il s’insère très habilement dans le roman de Dumas, se glissant dans les failles du récit et en comblant certains vides. Qui ne s’est pas demandé, par exemple, comment la modeste lingère Constance Bonacieux avait pu devenir la confidente de la reine Anne? Le roman apporte une réponse très cohérente à cette bizarrerie. L’auteure se permet bien de temps en temps quelques déviations par rapport à Dumas mais elles demeurent modestes. Un exemple: chez Dumas, les trois mousquetaires empêchent d’Artagnan de parler avec Milady entre sa condamnation à mort et son exécution, de peur qu’elle ne le « retourne » en sa faveur. Dans Je voulais vivre, au contraire, ils les laissent en tête à tête un long moment, ce qui permet à Milady de se justifier en détail auprès de d’Artagnan. Les « inventions » d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre viennent aussi parfois enrichir le texte d’origine. En faisant de Mordaunt le fils d’Athos et non pas de lord de Winter, elle décuple la dimension tragique de la scène clé de Vingt ans après qui voit Athos poignarder Mordaunt alors que celui-ci cherche à le noyer…

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